15 janvier 2018

Cuba, le modèle agroécologique en danger


Pour Miguel Altieri, professeur d'agroécologie à l'Université de Californie de Berkeley, le modèle d'agriculture durable développé à Cuba pourrait être mis en péril par les ambitions des grandes firmes de l'agrobusiness américain.

Miguel Altieri étudie depuis 35 ans l'agroécologie dans la plupart des pays d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud. Dans un article publié sur le site d'information "The Conversation", il explique que cette forme d'agriculture s'est développée dans les années 70 en Amérique latine en réaction à une agriculture industrielle décidée par le pouvoir, portée par les technologies, et destructrice de l'environnement.

Et qu'à l'inverse cette agroécologie encouragea les petits paysans au développement d'une agriculture durable qui combine l'expertise de l'Occident avec les savoir-faire ancestraux.

Chute du partenaire soviétique

L'agroécologie en action

Miguel Altieri est professeur d'agroécologie à l'Université de Berlekey et Doctor Honoris Causa de l'Université Catholique de Louvain, Belgique. Pour lui l'agroécologie est le futur de l'agriculture et le seul chemin possible pour nourrir la planète. Pour en savoir plus consultez les sites Agroecology in Action et Urban Agroecology.

Au début des années 90, à la suite de la chute de son partenaire économique soviétique - qui fournissait les tracteurs, les carburants, les pesticides, les engrais -, Cuba fut contraint de retrouver un modèle agricole local pour nourrir sa population, modèle qui devint une référence en matière d'agroécologie.

Miguel Altieri rappelle que jusqu'à cette époque, et pendant plusieurs décennies, Cuba avait alloué 30% de ses terres agricoles à une canne à sucre destinée à l'exportation tandis que 57 % des denrées alimentaires étaient importées. Cuba avait alors la plus faible croissance de production alimentaire par habitant de toute l'Amérique latine : "dans les années 80, les quantités de pesticides augmentaient, les sols se dégradaient en même temps que les rendements de quelques récoltes essentielles, comme le riz, avaient commencé à décliner." 

Retour à l'agriculture paysanne

Ferme biologique à Alamar. Photo CC Melanie Lukesh Reed via Flickr.

Dans les années 90, on retrouve la traction animale, le fumier, des biopesticides fabriqués artisanalement tandis que le gouvernement réforme l'agriculture pour favoriser des modèles de production décentralisées et invite les fermiers à se regrouper pour cultiver et vendre leurs productions.

De 1996 à 2005 la production alimentaire locale rebondit avec une croissance de 4,2% par an, indique Miguel Altieri. Puis le gouvernement supprime de vieilles structures agricoles étatiques, encourage la création de 2600 fermes urbaines et suburbaines, et autorise la production agricole sur trois millions d'hectares de terres nationales inutilisées.

Résultats: Cuba compte aujourd'hui 383 000 fermes urbaines, sur 50 000 hectares, qui produisent plus de 1,5 millions de tonnes de légumes. Certaines exploitations ont des rendements de 20 kg de production alimentaire par mètre carrée, les plus hauts rendements du monde, alors qu'aucun engrais chimique n'est utilisé. Les fermes urbaines produisent 50 à 70% de ce que consomment des villes comme La Havane ou Santa Clara.
 
Les risques de l'ouverture à l'agrobusiness

Un peu d'histoire

Dans un discours prononcé en 1960, John F. Kennedy, alors sénateur et candidat aux présidentielles américaines, faisait remarquer qu'au début de 1959 (quelques jours avant la prise de pouvoir par Fidel Castro), "les entreprises américaines possédaient à peu près 40% des plantations de canne à sucre de Cuba, presque tous les élevages de bétails, 90% des mines et des concessions minières, 80% des entreprises de distribution d'électricité, de gaz et d'eau (utilities), et pratiquement toute l'industrie pétrolière, et ils fournissaient les deux-tiers des importations du pays. Bien sûr nos investissements firent beaucoup pour Cuba, mais nos actions donnèrent plus souvent l'impression que ce pays (les Etats-Unis, ndlr) était plus intéressé à prendre l'argent du peuple cubain qu'à l'aider à bâtir par lui-même une économie forte et diversifiée".

Pour comprendre cette période et la portée du réchauffement des relations de Cuba avec les Etats-Unis notre lecteur pourra aussi se référer à la page Wikipedia de Fulgencio Batista didacteur renversé par la révolution cubaine.

Le professeur d'agroécologie s'inquiète de l'impact de l'ouverture de Cuba sur son modèle agricole. La production pour le tourisme, la demande de produits biologiques pour l'export, notamment les fruits tropicaux, sont autant d'opportunités pour les industriels, au détriment de l'alimentation locale.

Il rappelle que la US Agriculture Coalition for Cuba, un groupe d'une centaine d'entreprises et d'organisations commerciales du secteur agroalimentaire américain a été créé en 2014 précisément pour pousser à la fin de l'embargo économique imposé à Cuba.

Et il s'inquiète : "quand l'agrobusiness investit dans les pays en voie de développement, il recherche des économies d'échelles, encourage la concentration des terres dans les mains de quelques grandes firmes, et la standardisation des productions à petite échelle. En conséquence ceci pousse les petits fermiers hors de leurs terres, et aboutit à l'abandon des productions locales et de l'agriculture traditionnelle. L'expansion des récoltes OGM et des agrocarburants au Brésil, au Paraguay, en en Bolivie depuis les années 90, résulte de ce même processus."

Et de dénoncer le risque d'une destruction de ce réseau agricole et social sophistiqué et performant, développé par plus de 300 000 "campesinos" pendant ces dernières décennies, sur la base d'échanges horizontaux de savoir-faire entre paysans. [Il serait quand même très ennuyeux qu'il existe sur la planète une preuve exemplaire des vertus sociales et agricoles d'une agriculture paysanne agroécologique, ndlr]

Miguel Altieri précise que Cuba a le potentiel de nourrir entièrement ses 11 millions d'habitants avec des méthodes agroécologiques, de produire pour les activités touristiques, et même d'exporter pour soutenir sa monnaie locale, tout en protégeant sa souveraineté. Il considère que cette accomplissement en matière d'agriculture écologique est un véritable héritage de la révolution cubaine qu'il faut absolument préserver. 

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